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Retour à la forêt

Épisode 3 : Le pinceau tacheté

Le matin chez nous, c’est un tourbillon de petites pattes, de rires et de crayons éparpillés. Sous mes pieds, un pinceau roule, échappé d'une création inachevée. Je crois avoir encore quelques taches de peinture bleue entre mes épines.

Trois jeunes écureuils s’agitent autour de moi, chacun plongé dans son propre monde : Myrtille gribouille un carnet avec une intense concentration, Avoine grimpe pour attraper un pot de peinture bien trop haut pour lui, et Ciboulette aligne des brindilles et des pétales dans un motif mystérieux. Leur créativité déborde, insaisissable, imprévisible… et pourtant si familière.

Je gratte distraitement l’une de mes petites pattes avant, un réflexe quand je réfléchis. Mes piquants frémissent légèrement sous l’agitation environnante. J’observe ce chaos organisé avec tendresse. L’expression, la spontanéité… c’est tout ce que j’essaie d’enseigner chaque jour dans ma classe d’art. Et c’est tout ce que je ressens moi-même, en permanence.

Mon esprit est comme notre forêt en mouvement. Parfois, il est aussi calme qu’un petit matin frais où le soleil se faufile entre les arbres et la brume matinale. D’autres fois, c’est un grand vent qui siffle dans les feuilles et en arrache quelques-unes au passage. Les idées fusent, tourbillonnent, se croisent. Trop de projets commencés, pas assez de temps. C’est un joyeux désordre… mais il m’arrive de me perdre dedans.

Aujourd’hui, les élèves semblent animés d’une énergie particulière. En traversant la cour, je croise Cyan et Azurin Plume, qui discutent avec enthousiasme d’un projet que leur père veut construire sur la cour d’école. Mélisse, assise sur un banc, semble hésitante, jouant avec un galet du bout des pattes. Plus loin, Pivoine poursuit une libellule en chantonnant. Sauge, caché dans un coin, dessine sur une feuille avec un air très sérieux. Je me penche légèrement et aperçois des traits qui ressemblent à un plan, avec un ruisseau et des arbres. Peut-être mène-t-il vers un trésor ou une cachette secrète. Il lève les yeux vers moi et me lance un sourire malicieux avant de replonger dans son dessin.

En entrant dans la salle d’art, je prends un moment pour respirer profondément. L’odeur du papier, du bois et d’un soupçon de peinture séchée flotte dans l’air. Cet espace, rempli de couleurs et d’esquisses inachevées, est mon refuge, tout comme il peut être celui de mes élèves.

Je sors mes pinceaux et leur annonce notre exercice du jour :

— Aujourd’hui, nous allons peindre sans plan. Pas d’idées préconçues, pas d’attentes. Juste des couleurs et des formes qui apparaissent sous nos doigts.

Certains se lancent avec enthousiasme, mais d’autres hésitent. Mélisse, notamment, semble crispée devant sa feuille blanche. Elle commence un trait, puis l’efface aussitôt. Elle cherche à bien faire, trop bien faire… et ça la bloque.

Je prends un pinceau, le trempe dans un bleu profond, et je trace un mouvement rapide. Mais ma main glisse légèrement, et une goutte tombe sur ma feuille. Je m’arrête. J’observe la tache. Puis, sans trop réfléchir, je l’étire, je la transforme, je l’entoure de nouvelles formes.

— Oh non ! dis-je, exagérant mon expression. J’ai fait une erreur !

Les élèves lèvent les yeux vers moi, curieux. Je souris et continue :

— Ou alors… c’est peut-être le début de quelque chose d’intéressant.

Je prends un autre pinceau et transforme la tache en un petit oiseau. Puis, avec quelques coups rapides, j’ajoute un arbre autour de lui. Ce qui était un accident devient une histoire.

Mélisse souffle doucement. Elle regarde sa feuille, hésite un instant… puis plonge son pinceau dans la peinture. Un petit sourire naît sur ses lèvres. Elle a compris.

Je me promène entre les tables, observant les œuvres de chacun. Trèfle Mielle a peint un champ fleuri avec des abeilles minuscules—son père Mélilot, l’apiculteur, serait fier ! Cyan mélange des bleus et des verts pour capturer la lumière d’un sous-bois. Myrtille esquisse une scène de forêt dont elle me parle parfois à l’heure du dodo, elle l’imagine souvent dans ses rêves. Et Sauge, lui, continue de perfectionner le dessin de son fameux plan, les yeux brillants.

Sur le chemin du retour, mes pensées vagabondent. Je me revois, plus jeune, hésitant à laisser mon pinceau courir librement sur la toile, cherchant à tout contrôler. Noisette, mon compagnon, m’avait alors glissé en souriant :

— Tu n’as pas besoin de tout planifier. Laisse-toi surprendre.

À l’époque, j’avais haussé les épaules, sceptique. Aujourd’hui, je chéris cette leçon. L’art, comme la vie, est souvent plus beau quand on lui laisse un peu d’espace pour respirer.

Quand j’arrive à la maison, mes petits sont chacun absorbés dans leurs créations : Myrtille dessine, Avoine escalade un meuble en imaginant une montagne, et Ciboulette aligne soigneusement des brindilles et des feuilles en un motif qu’elle seule comprend.

Je m’assois à côté d’eux, lance un clin d’œil à Noisette, et attrape un crayon.

— Et si on dessinait ensemble ? Sans plan. Juste pour voir ce qui arrive.

Parfois, les plus belles choses naissent du hasard.

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