
Le matin, avant que le village ne s’éveille, il y a un moment où tout semble suspendu. C’est l’instant où la nuit s’efface doucement et où le jour s’étire lentement. Un moment où tout est calme.
Dans cette période entre-deux, une lumière danse derrière la fenêtre d’une petite boulangerie. À l’intérieur, une douce chaleur flotte dans l’air, mêlant l’odeur du pain qui dore lentement, du miel qui caramélise et du bois qui crépite dans le four.
Je suis Basilic Sureau, un ours brun aux larges pattes couvertes de farine. Je suis boulanger dans la forêt de Pas-si-vite.
Depuis des années, avant même que les premiers oiseaux ne commencent à chanter, je suis déjà là, façonnant la pâte avec patience et attention.
La boulangerie, ce n’est pas seulement un lieu où l’on prépare du pain. C’est un refuge. Un endroit où la chaleur du four réchauffe plus que la pâte qui lève, où l’odeur sucrée du miel et des noisettes flotte dans l’air, et où les premiers visiteurs du matin viennent chercher un peu de réconfort.
J’enfonce doucement mes pattes dans la farine. Elle est fine, douce, presque comme un nuage sous mes doigts.
Je dépose une miche encore chaude sur la grande table en bois, juste sous la fenêtre embuée. Elle est dorée, craquante, et son parfum emplit la pièce. Derrière moi, le four murmure doucement, achevant la dernière fournée du matin.
Dans un coin, ma conjointe Laurier, une blairelle au regard doux, façonne l’argile entre ses pattes. Elle tourne lentement un bol sur son tour de potier, ses gestes précis et sereins. Elle ne parle pas, et moi non plus. Nous n’avons pas besoin de mots. La boulangerie est remplie d’un silence paisible, où seuls le feu et la farine qui danse dans l’air racontent leur histoire.
Puis, un son familier.
La porte grince doucement. Une ombre fine et vive se glisse dans la pièce, suivie d’un long bâillement.
C’est Mélisse, une des jeune loutre du village.
Son arrivée me rapelle que Maron, son père et mon partenaire d'affaire à la boulangere, n'est pas encore arrivé au poste. Marron est un boulanger aussi, mais pas comme moi. Là où j’aime la tradition et la précision, lui aime l’audace et l’expérimentation. Au début, j’avoue, j’avais du mal à comprendre ses méthodes. Ajouter du romarin dans une brioche ? Saupoudrer du sel sur une pâte sucrée ? Ce n’était pas mon style. Mais j’ai appris à lui faire confiance, à le laisser suivre son instinct. Et aujourd’hui, il est une pièce maîtresse de la boulangerie. C’est grâce à lui que nous avons créé la tradition du pain des étapes, celui qui marque chaque passage important dans la vie du village. Et oh, comme je suis heureux d’avoir laissé sa créativité s’épanouir.
En se frottant les yeux, Mélisse grimpe sur son tabouret favori près du comptoir, et tend le nez vers le pain chaud. Ses moustaches frémissent sous la chaleur et l’odeur sucrée du miel. "Papa arrive bientôt", me dit-elle, de sa voix enrouée.
Elle aime venir ici avant que le soleil ne se lève et que les autres villageois arrivent, juste pour regarder la pâte gonfler et sentir la première fournée du jour. Elle dit que c’est son moment préféré, un instant suspendu entre la nuit et le jour. Même lorsqu’elle dort chez sa mère, Rivière, une loutre au regard vif et aux gestes précis, qui habite - justement - le long de la rivière, elle fait parfois le long trajet jusqu’à la boulangerie, juste pour ne pas manquer ce moment. Cela me touche plus que je ne le dis. Il faut vraiment aimer quelque chose pour marcher si longtemps dans la fraîcheur du matin, simplement pour le retrouver.
Je coupe une tranche du pain encore tiède et la lui tends. Elle la prend avec précaution, souffle doucement dessus avant d’y croquer. Ses yeux pétillent un instant sous la surprise de la texture croustillante et du cœur moelleux. Je me gonfle doucement le torse, fier que la fille d’un boulanger aussi audacieux que Marron prenne tant de plaisir à déguster ma miche plutôt traditionnelle. Peut-être, après tout, que dans ce mélange d’idées nouvelles et de traditions, il y a un équilibre parfait.
Ses paupières se ferment un instant. Le silence s’étire entre nous. Un silence doux. Enveloppant.
Nous restons là, ensemble, dans la quiétude du matin. Dehors, le ciel commence lentement à pâlir.
Une autre journée s’annonce.
La farine danse encore dans l’air. Une nouvelle journée commence… tout doucement.
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