Le recueil de la forêt – Histoires douces pour petits et grands

Épisode 5 : Un projet pour la cour d’école

Rédigé par La Forêt Pas-si-vite | Apr 21, 2025 3:06:10 AM

Je suis arrivé de bonne heure ce matin, comme d’habitude. Le ciel était encore un peu rose, et la rosée couvrait le sol de la cour. L'air sentait le bois humide et la terre fraîche. Un léger vent faisait frémir les branches au-dessus de ma tête.

J'aime beaucoup ce moment-là. Quand tout est calme. Quand les feuilles chuchotent dans les arbres, et que les jeux attendent patiemment que les enfants arrivent, encore enveloppés de brume. Ça me rappelle quand moi aussi, j'étais petit et que j'avais hâte de retrouver mes amis avant les cours. Mes amis qui, maintenant, sont tous plus vieux, comme moi, et ont eux aussi leurs propres familles. Et moi, Plume, Cyan et Azurin, on forme la mienne, ma famille. 

Aujourd'hui, j'avais une idée qui me picotait les plumes depuis plusieurs jours. Une idée toute simple, mais qui me faisait sourire rien que d'y penser.

Je me suis installé sur le banc au pied du grand frêne. Le banc était frais contre mes pattes. J'ai sorti mon carnet à croquis, celui dont les pages sentent encore un peu la sève. Celui dans lequel j'étallais mes idées comme certains utilisent les mots. Des idées sous les pages qui craquent. Des croquis de projets et de belles choses. Et, pour ce projet-ci? Une cabane... Ou peut-être une sorte de structure en bois, avec des cordes pour grimper, un tunnel pour ramper, un perchoir pour observer...

J'avais dessiné quelque chose qui me plaisait bien. Pas trop grand. Pas trop petit non plus. Juste assez pour faire briller les yeux des enfants.

Je l'avais appelé : Le coin des explorateurs.

Quand les premiers enfants sont arrivés sur la cour d'école, leurs pas crépitaient dans la rosée comme des éclats de rire. Leur souffle formait de petits nuages dans l'air frais du matin. Des groupes se formaient, des sourires de plaisir de se retrouver entre copains, J'ai attendu. J'ai observé. Parce que parfois, pour bien faire, il faut d'abord écouter.

Muscade et Avoine Châtaigne, les fillettes écureuils de Mme Chardon, court rapidement rejoindre Mélisse pour lui souhaiter bon matin et voir son galet du jour. Scarlette la renarde dit au revoir à sa mère Ambre du bout du museau et gambade jusqu'à Floralie la jeune biche qui semble très occupée à jouer avec la petite Capucine la canarde et Trèfles, la jeune mouffette. Azurin, mon plus jeune gaie, semble faire le chevalier dans leurs histoires imaginaires. Puis au son de la cloche, tout le monde se rue vers la porte et la poussière retombe. Et moi, je me retrouve seul pour mijoter mon projet en travaillant à l'air frais. 

Plus tard ce matin, pendant la récréation, je me suis doucement approché de Scarlette, et de Floralie, qui regardaient ensemble les nuages rouler au-dessus du frêne. Elles étaient avec Ciboulette, Muscade et Avoine, les triplets écureuils. Ensemble, ils dessinaient des formes imaginaires dans le ciel avec leurs doigts.

— J'ai besoin de vos avis de spécialistes. Vous venez voir mon plan ?

Ils m'ont suivi en sautillant jusqu'au banc. Scarlette a penché la tête, ses oreilles rousses pointues frémissant légèrement. Floralie, elle, a frôlé les pages du bout des sabots, attentive et curieuse.

— C'est une cabane ? demanda Scarlette.

— Pas tout à fait. C'est un endroit pour grimper, se cacher, inventer des histoires. J'ai pensé que vous aimeriez peut-être m'aider à l'aménager.

Les enfants se sont tous regardés, les yeux écarquillés.

Et là, les idées ont commencé à fuser, comme des graines de pissenlits au vent.

— Un pont en corde ! s'est exclamé Avoine.

— Des coussins à l'intérieur pour se reposer, a ajouté Ciboulette.

— Peut-être... un coin secret pour lire, a proposé Scarlette.

Floralie, elle, proposa :

— Et si on mettait des écorces douces au sol... pour sentir la forêt sous nos pattes ?

J'ai noté chaque idée. Les pages se remplissaient, bruissant comme un ruisseau rapide.

Puis d'autres enfants sont venus. Une lunette d'observation pour voir les étoiles, des plantes grimpantes, une corde à nœuds, une fenêtre ronde, un mur à dessin… et même une cloche pour annoncer les histoires.

C'était un tourbillon d'idées.

Mais je voyais aussi, dans certains regards, une petite inquiétude : et si leur idée était oubliée ?

Alors je leur ai dit doucement :

— Toutes vos idées comptent. On trouvera une façon de les faire vivre.

Le soir, en rentrant chez moi, j'ai étalé toutes les pages sur la table. L'odeur de bois et de papier flottait dans l'air. Mon carnet semblait battre comme un petit cœur.

Je me suis mis à trier, à assembler, à rêver.

Un peu d'eux, un peu de moi.

Un projet tout neuf, tissé de toutes nos idées.

Parfois, la meilleure idée, ce n'est pas celle qu'on avait déjà. C'est celle qu'on construit à plusieurs, en prenant le temps de s'écouter vraiment.

Quelques semaines plus tard, tout était prêt.

Le "coin des explorateurs" s'étendait maintenant sous le grand frêne. Les poutres sentaient encore le bois frais, les cordes étaient solides sous les mains, et un doux tapis d'écorce recouvrait le sol. Des plantes grimpantes avaient été plantées au pied des poteaux, prêtes à monter vers le ciel au fil des saisons.

Le jour de l'inauguration, les enfants ont dévalé la cour en riant. Scarlette a été la première à grimper le long de la corde à nœuds, pendant que Floralie glissait ses sabots sur l'écorce douce, humant l'odeur de sève et de mousse.

Ciboulette s'est installée dans le coin secret pour lire, caché derrière une fenêtre ronde, tandis qu'Avoine jouait à se balancer d'un poteau à l'autre comme un aventurier.

Leurs rires flottaient dans l'air, légers et vibrants, mêlés au bruissement des feuilles.

Je les ai regardés longtemps, mon carnet à la main. Mon projet n'était plus seulement un dessin. C'était un lieu vivant, un endroit où chacun avait laissé une petite trace.

Un espace créé ensemble. Un coin d'aventure. Un coin de souvenirs à venir. Un coin rassembleur et garant de moments d'amitié pour toujours. 

Et ça, ça valait toutes les cabanes du monde.